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Paulette Editrice*, maison d’édition suisse de littérature lgbtqi+ et copains, m’a proposé d’écrire un texte dans l’anthologie Dustan, l’héritage – le titre suffit à en résumer l’intention.

 

J’ai écrit sur mes années à Sciences Po, à Paris, où je suis entré à tout juste 18 ans, gouine dans le placard et fille d’une famille franco-vietnamienne de bobos du 11e arrondissement, m’installant a priori à la place que les projections et les trajectoires de mes parents** m’avaient déjà réchauffée et m’y trouvant pourtant tout, sauf à ma place.

 

Trop lesbienne, trop asiatique, trop abimée. N’ayant qu’un seul mot à la bouche, qu’il faudrait réussir à dire : « lesbienne ». Lesbienne. Lesbienne. Mais comment prononcer ce mot dans une école, un monde, une passerelle vers une classe sociale, un statut, qui est tout entier fait de distinction ?

 

Chacun, dans cette première année de Scpo, cherche à s’inscrire dans cette distinction, à y concourir (puisque la distinction est toujours un concours), qu’elle s’illustre par des vêtements, une diction, des opinions, ou s’acquière en bachotant fiévreusement sa culture générale, dans sa chambre de bonne, dans l’espoir d’effacer la classe sociale ou la culture dont on vient vraiment***. Pour survivre, j’enfile moi aussi, du mieux que je peux, l’« uniforme » de la blanchité hétérosexuelle bourgeoise. Je me travestis – dans la souffrance, sans la comprendre.

 

Puis c’est le temps du « coming out » queer. Cette distinction, je n’y ai pas, et n’y aurai jamais ma place. Ce n’est pas grave : je n’en veux pas ! Je la refuse violemment l’année de la « Manif pour tous », puis joyeusement, en entamant ma vie de lesbienne, vie désirable s’il en est.

 

*

 

Pourtant la langue de la distinction – celle qui, lorsque je suis entré à Sciences Po, m’a fait si absolument taire, a tué ma voix dans ma gorge, cette langue me poursuit lorsque vient pour moi le temps d’écrire. Ecrire : activité adressée. Adressée à qui ? A Saint-germain des prés ? Au triangle des éditeurs : P.O.L, Gallimard, Minuit ?

 

Je veux écrire, oui, mais écrire m’inscrit dans un champ symbolique, celui de la littérature, qui me ramène immédiatement, et violemment, au champ symbolique de la grande école qu’est Sciences Po, et dans lequel il m’a été difficile, même, de respirer.

 

Comment écrire ? Comment dire ma vie de gouine, ma vie de queer, ma vie trans (puisque c’est ce qu’il faut dire) dans une langue – celle de la distinction- qui, dans sa fonction même, l’interdit.

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C’est alors que je trouve Dustan. Je fais vite : le texte intégral est dans l’anthologie. Dustan est juif****, issu d’un milieu bourgeois, ancien de Henri IV, Sciences Po, ENA. Et il est PD. Et il écrit, ce qu’il a écrit. Dustan est tout ce dont j’ai besoin, au moment où j’en ai besoin. Il me montre la voie. Il la tapisse pour nous, ses queers***** brinquebalants qui traçons nos routes sur nos jambes qui sortent flageolantes du début de nos vies violentes.

 

Dustan m’accueille dans la vie que je m’apprête à choisir. Il faut toujours choisir, à chaque étape de sa vie, faire un nouveau choix. Il parle de solitude, de mélancolie, de la difficulté de l’amour queer – je me lis en lui. Et il parle dans une langue dirigée directement comme le canon d’un fusil sur le champ symbolique de la « littérature hétérosexuelle bourgeoise » – pour le faire exploser.

 

Le fusil est dans ma main. Lorsque je tire, je sens la sienne par-dessus.

 

 

*

 

*par ailleurs maison d’édition de mon deuxième livre publié, le premier que j’ai écrit : « Et pourtant ».

 

**(il faudra écrire sur le catapultage des enfants de l’immigration d’asie de l’est et d’asie du sud-est, dont l’habitus (confucéen ?) (et la colorisation ?) se marient admirablement avec le système éducatif élitiste à la française, dans les milieux élitistes blancs et bourgeois. Ecrire un jour sur l’aliénation qui a été la mienne et qui est celle de beaucoup. 20 ans à ne pas se voir, à se nier, se renier.)

 

***(et il est important de dire la violence symbolique d’écoles comme Sciences Po pour les étudiants et étudiantes arrivant de villes moyennes ou de milieux ruraux, de parents ouvriers ou de classe moyenne, et d’autant plus d’enfants de parents racisés et qui se prennent en pleine face l’arrogance des héritiers nés pour y être –)

 

**** (il faudra écrire sur la conscience de Dustan de sa double assignation – juif et homosexuel, et la façon dont il problématise le double rejet dont il fait l’objet dans le monde bourgeois blanc dans lequel il s’inscrit, puis qu’il rejette)

 

*****(terme qu’il récuse au profit de « gay » et « lesbienne »)

 

 

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Pour commander le livre : Site de Paulette Éditrice